Groupe de travail "Réflexion stratégique" (Terminé)
 
Réflexion stratégique (terminé)
Bilan en Mars 2009

Les réflexions stratégiques sur l’avenir des recherches pour le développement et en coopération ont donné lieu à un long entretien avec le DG le 6 mai et à deux réunions d’un groupe chargé de rédiger un texte sur cette question.
Un premier texte a été élaboré en mai et discuté lors de la réunion de Montpellier puis revu lors du CA du 27 juin, à la suite de quoi Marc Bied-Charreton, Jacques Merle et Patrick Séchet ont produit une version définitive.
Cette dernière a été envoyée au DG et au Président de l’IRD en juillet ; puis le Président de l’AAIRD l’a envoyée au petit groupe de réflexion sur ce point formé entre les ministères des Affaires étrangères et de la Recherche.
Il a également été communiqué à l’association des anciens du CIRAD qui, en retour, nous a envoyé le rapport sur le CIRAD de B. Chevassus-au-Louis. Nous n’avons pas eu de réactions des responsables de l’IRD ni du groupe de réflexion interministériel. Il y a eu ensuite le déménagement du siège et les débuts de réactions de nos collègues du CNRS et des Universités aux projets ministériels de Valérie Pécresse et le report du rendez-vous prévu DG/Président de l’AAIRD au début 2009.
La question de la poursuite de cette activité reste posée, surtout devant les incertitudes actuelles de l’avenir de l’IRD et de l’AIRD.

Cette page présente deux documents:
- A. Le projet initial de termes de référence
- B. Le rapport final

A. Réflexion stratégique : termes de référence

I. Exposé des motifs

Les caractéristiques de la recherche au service du développement (RsD) ont profondément évolué et doivent continuer de le faire pour tenir compte d’un monde en pleine évolution. L’IRD a su s’adapter à ces changements du point de vue de ses thématiques scientifiques - il les a parfois précédées - et a transformé en conséquence son dispositif de recherche. Mais la problématique désormais globale de la RsD impose des changements d’ordre institutionnel, tout comme la réforme en cours du dispositif scientifique français.

La création de l’Agence Inter organisme de la Recherche pour le Développement (AIRD) est, pour l’IRD, le point de départ de ce changement institutionnel. Pour le poursuivre, le gouvernement via le Cicid [1] a demandé au président de l’IRD - et à un groupe de travail constitué à cet effet - un rapport sur les enjeux stratégiques d’une recherche au service du développement. Une première version de ce rapport a été remise en décembre 2007 aux deux ministères de tutelle de l’IRD. Ceux-ci ont alors constitué un nouveau groupe de travail de quatre personnes pour étudier les implications institutionnelles de cette réflexion stratégique. Ce groupe doit remettre son rapport à brève échéance.

Il apparaît clairement que les réformes à venir dépendent fortement de la délimitation des enjeux politiques et des caractéristiques spécifiques reconnues en conséquence à la RsD d’aujourd’hui et de demain.

Pour faire court, il faut positionner le champ de la RsD entre deux extrêmes. D’un côté une RsD au service des pays pauvres (spécifiquement les pays africains) à dispositif scientifique faible, et dans le cadre de l’APD, en continuité donc avec la vision des années passées. De l’autre, une RsD intégrant la problématique globale du développement durable dans toutes les thématiques concernées et risquant de ce fait de voir se banaliser et se diluer sa spécificité.]

La première tâche du groupe de réflexion stratégique de l’AAIRD est donc de contribuer à caractériser de manière opératoire, à destination des tutelles politiques, le champ et le mode opératoire spécifiques de la RsD. Ce n’est qu’ensuite que le groupe pourra s’atteler à la seconde de ses tâches, qui est d’en étudier les conséquences institutionnelles, en particulier en ce qui concerne l’avenir de l’AIRD et de l’IRD/Cirad. La première tâche est urgente et doit aboutir à une note synthétique et politiquement convaincante.

II. Le champ spécifique de la RsD

Il ne paraît pas utile de s’étendre sur l’analyse des mutations du monde contemporain justifiant une redéfinition du périmètre propre de la RsD. Ces mutations sont bien connues et bien présentées dans le rapport Girard (à la suite des rapports antérieurs, Nemo, HCCI, dont l’argumentaire a été repris, clarifié, mis à jour par le rapport Girard).

Les caractéristiques de cette RsD pourraient, en reprenant ce rapport, concerner :

a) sa problématique d’ensemble, le développement durable recherché dans des processus de croissance équitables et localement diversifiés ;

b)  son mode opératoire, le partenariat avec des pays variés – hors OCDE –à capacités scientifiques faibles ou lacunaires ;

c) la nécessité d’une valorisation poussée, impliquant des relations étroites avec les décideurs et opérateurs en charge de l’aide au développement et le souci de susciter une capacité d’expertise opérationnelle ;

d) ses méthodes, l’articulation des échelles (du local au global et réciproquement), l’accumulation de données de terrain, la pluridisciplinarité.

Chemin faisant, sera mise en évidence l’incapacité actuelle du dispositif scientifique français pris dans son ensemble à assumer ces caractéristiques de la RsD. Chemin faisant aussi, les implications en termes institutionnels et organisationnels pourront être relevées, ce qui préparera la deuxième partie du travail du groupe, à savoir la question de l’avenir de l’AIRD et de l’IRD.

III. Méthode de travail suggérée

1 – une première réunion pour discuter sur « le champ de la RsD », à l’issue de laquelle chaque participant préparera sa vision, rédigée en quelques lignes ;

2 – une deuxième réunion, d’une part pour faire la synthèse de ces propositions, d’autre part pour discuter les termes de référence de la seconde partie du travail du groupe et de la manière d’y travailler (par des interviews, par des contributions individuelles, etc.) ;

3 – un essai de synthèse, qui pourrait être envoyé pour réactions aux membres de l’AAIRD.

§  L’avenir de l’IRD et de l’AIRD : problématique

Il faut définir les fonctions de l’agence. Il faut aussi situer l’agence : une délégation de l’ANR, une entité autonome ? Quelle mode de gouvernance ?

Puis situer respectivement l’agence et l’IRD, dans une version à long terme, avec toutes les étapes transitoires nécessaires. Il faut se fixer un horizon. Deux grandes hypothèses :

-       l’AIRD et l’IRD reconfiguré et distinct. Quels sont alors leurs rapports ?

-       l’AIRD « absorbant » l’IRD. Il faut alors préciser en quoi l’AIRD resterait opérateur de recherche.

Pour apporter des éléments d’information dans cette réflexion, plusieurs initiatives peuvent être envisagées.

1 - L’un des membres du groupe pourrait faire une note sur l’état actuel des propositions en cours d’élaboration pour ce qui concerne le CNRS, l’Inserm et l’Inra [2] .

2 - On peut aussi imaginer que soit effectuée une revue systématique des 72 unités de recherche et de service qui composent actuellement l’organisme, dans l’optique de détecter pour chacune ce qui justifie qu’elle soit spécifique de l’IRD, qu’elle soit pilotée par un tel organisme dédié ou qu’elle en nécessite une contribution. Idéalement cette étude pourrait mobiliser deux membres du groupe, de manière à recueillir deux visions distinctes.

3 - Chaque membre du groupe pourrait enfin interviewer sur le sujet une ou deux personnes extérieures, mais proches de l’institut (des chercheurs de l’IRD et des membres de nos instances, par exemple), de manière à ne pas interférer avec le travail mené à l’initiative des ministères.
(AAIRD, version 1.1, 30 avril 2008)

[1]  Comité interministériel de la coopération internationale et du développement.
[2]  Il suffit de consulter les revues de presse de l’IRD des derniers mois.

 

 

B. Réflexion stratégique : rapport final

Recherche au service du développement : quels chercheurs ?

Réflexions du Conseil d’administration de l’AAIRD, 2 juillet 2008

Au moment où l’ensemble du dispositif français de recherche passe par une profonde transformation, il est clair que la place que doit y prendre la recherche au service du développement -ou pour le développement – (RpD) doit aussi faire l’objet d’une réflexion. L’association des anciens de l’IRD souhaite apporter une contribution à cette réflexion, contribution naturellement libérée de tout enjeu et qui s’appuie évidemment sur une expérience longue et diversifiée dans ce domaine.

I. Les sujets de la RpD ne lui sont pas spécifiques…

La recherche au XXIe siècle vise à apporter des éléments de réponse aux grands problèmes de nos sociétés et de la planète. Il faut relever les défis démographiques et climatiques, lesquels ont un impact dans tous les domaines : alimentation, santé, énergie, emploi, échanges économiques, etc. Il est nécessaire de réduire la pauvreté au Nord et au Sud, en transformant les paradigmes habituels de développement vers des modèles durables et équitables, tout en se situant dans un cadre mondialisé maîtrisé.

Même si dans tous ces domaines d’intervention il existe quelques sujets originaux tels ceux relatifs aux plantes alimentaires tropicales, aux maladies émergentes, aux cultures non occidentales et à l’immigration, aux risques naturels extrêmes, etc., les objectifs de la recherche sont communs et restent valables quelles que soient la localisation géographique et les sociétés. Il n’y a pas à faire de particularisme spécifique pour tel ou tel pays du Sud. L’amélioration génétique est la même partout, les questions de cours des produits se posent en termes identiques partout, celles d’équilibre entre action publique et acteurs individuels aussi sont partout les mêmes.

D’ailleurs la perception de la RpD évolue rapidement ces dernières années sous la pression de la mondialisation : l’opinion publique prend de plus en plus conscience de ce que les sujets qu’elle considérait auparavant inhérents aux seuls pays pauvres intéressent désormais tout autant les sociétés développées, y compris du fait de la montée des inégalités en leurs seins.

Autrement dit, la RpD s’inscrit sans difficulté dans le spectre thématique et disciplinaire de la recherche scientifique et technique, elle se plie à toutes ses règles, procure les mêmes satisfactions, autorise tous les échanges et permet – nécessite – toutes les collaborations.

Elle s’inscrit également dans un champ concurrentiel Nord- Nord par Sud interposé.

II. …mais la recherche au Sud diffère de celle du Nord…

Entre pays dits « développés » et pays en développement (PED) ce sont les priorités et les modalités d’exercice de la recherche scientifique et technique qui sont très différentes. Les PED n’ont pas assez de crédits pour investir en infrastructures de recherche, ni même pour payer des enseignants-chercheurs et du personnel spécifique. Leurs Etats ne sont parfois pas assez stables, la gouvernance laisse à désirer, leurs sociétés civiles pas assez fortes. Pire, ils sont en position de dominés et une grande partie d’entre eux dépendent de ressources naturelles renouvelables en dégradation constante du fait de mauvaises pratiques et d’une démographie non contrôlée.

On peut d’ailleurs se demander si la recherche est un préalable, ou une étape nécessaire au développement. Ne serait-ce pas plutôt le développement qui permet à la recherche de s’épanouir dans un cadre confortable ? Luxe ultime des sociétés développées lorsque cette recherche est une pure avancée vers le savoir (astrophysique….), dénuée d’applications. En fait, recherche et développement sont généralement engagés dans une boucle d’interactions positives : une recherche initiale crée un potentiel de développement qui, à son tour, offre des conditions plus favorables à la recherche qui peut alors se développer et éventuellement générer encore plus de développement, et ainsi de suite. Ou, dans l’autre sens, des noyaux de développement et de richesses permettent à la culture et à la recherche de trouver une place dans la société.

Le sous-développement ne se résume pas à un simple retard de développement. Il ne peut être combattu sans transfert de technologies : c’est tout le sens de l’aide au développement en matière de recherche scientifique et technique, de la RpD. Elle requiert que les chercheurs du Nord s’investissent aux côtés de leurs homologues du Sud. Sa finalité est la maîtrise du développement par nos partenaires du Sud.

III. …car ses conditions d’exercice sont particulières…

Ces chercheurs doivent mettre en commun leurs savoirs et contrôler les questions de compétition (et de gestion de carrière) ; être en relation avec les opérateurs/acteurs économiques du développement, de la définition des programmes jusqu’à l’applicabilité des résultats ; s’intéresser à la diffusion de la science ; sortir des héritages coloniaux ; ne pas s’enfermer dans des ghettos spécialisés en recherche, en un mot être « impliqués » dans la société. Ils doivent surtout répondre à des tâches de formation, d’enseignement et d’encadrement.

Dans des pays très pauvres, aux infrastructures fragiles, voire inexistantes, la recherche, même importée du Nord à grand frais, a d’énormes difficultés à se maintenir et à produire des connaissances susceptibles de favoriser le développement. Les « cerveaux » de ces pays ne trouvent pas de conditions suffisamment favorables pour rester sur place, chercher et développer. Ils s’expatrient pour s’exprimer dans un cadre favorable, le plus souvent au bénéfice du pays accueillant et peu, ou rarement, au bénéfice de leur pays d’origine.

Par conséquent, la RpD se singularise du fait de plusieurs aspects qui se révèlent plus prégnants qu’ailleurs. Elle implique plus de travaux de terrain, elle est essentiellement multidisciplinaire, elle se réalise exclusivement en partenariat, elle ne se conçoit guère sans inclure de la formation et de l’expertise, elle exige beaucoup plus qu’ailleurs une implication dans l’expression de la demande sociale et un prolongement vers l’action.

Ce dernier trait à lui seul permet de justifier tous les autres. Le modèle de développement à appliquer dans les pays les moins avancés doit en effet prendre en compte les cultures des sociétés concernées et l’exemple occidental ne saurait s’appliquer par simple mimétisme. Pour autant, on ne peut attendre de ces pays à faible capacité scientifique qu’ils traduisent seuls leurs priorités de développement en problèmes de recherche. Il est donc indispensable que nos chercheurs s’investissent profondément en amont, dans le dialogue avec le politique et la société civile, comme en aval, dans la relation avec les opérateurs de développement, publics et privés, afin de co-construire cette demande indispensable à l’émergence de problèmes de recherche pertinents. Pour les mêmes raisons, ils doivent également se soucier de l’application des résultats de leurs recherches, alors que dans les pays du Nord celle-ci est prise en charge par une société civile bien dotée pour le faire.

IV. …et requiert une population singulière de chercheurs...

La RpD peut se concevoir sous la forme d’actions spécifiques à durée limitée qui associent des tâches de recherches effectuées dans des conditions difficiles avec des tâches de formation d’homologues nationaux, de contribution au développement d’un partenariat scientifique et d’enseignement-formation, de travail proche des opérateurs du développement. Actions auxquelles des coopérations scientifiques et universitaires internationales peuvent répondre.

Ces actions sont en effet ciblées (de façon large ou étroite selon la demande) et peuvent donc être exécutées par des chercheurs et enseignants-chercheurs « empruntés » dans leurs institutions de recherche et/ou d’enseignement supérieur respectives, dans lesquelles ils retournent après quelques années. Un tel mode de fonctionnement est indispensable pour concourir à l’excellence scientifique de la RpD, tout en permettant que ces chercheurs maintiennent leurs compétences scientifiques au meilleur niveau afin de conserver leurs rangs au sein de leurs communautés disciplinaires. En même temps, il favorise la diffusion d’une culture de la RpD auprès des étudiants et jeunes chercheurs du Nord, laquelle s’avèrera utile pour maintenir sur le long terme le flux des candidats à ce genre d’expérience.

Cependant, la RpD répond à une logique particulière d’efficience, qui nécessite des chercheurs présentant un profil très particulier. Ceux-ci doivent en effet développer simultanément toutes les missions transversales (communication, formation, valorisation, expertise, etc.) dévolues à la recherche, alors même que la mission principale de création de connaissances apparaît moins évidente. Or, dans un milieu scientifique où la compétition s’est singulièrement exacerbée ces vingt dernières années, une telle feuille de route requiert des qualités particulières, voire une véritable abnégation pour ne pas dire une réelle vocation.

Il est clair que l’on ne saurait attendre d’un même chercheur qu’il satisfasse à deux ensembles de pré requis sans aucun doute largement antinomiques. Sauf rare exception, l’implication requise par la RpD ne se rencontre pas au sein d’une population de chercheurs engagés dans la compétition scientifique à la frontière de la connaissance. Il faut plutôt des chercheurs tout aussi motivés pour résoudre des problèmes de recherche, mais ayant une autre sensibilité et prêts à faire passer d’autres finalités avant le seul progrès des connaissances.

V. …dont on connaît déjà quelques individus.

Seuls les deux organismes de recherche dédiés (le Cirad et l’IRD) que la France entretient depuis plusieurs décennies ont pris en compte ces aspects dans leurs modalités de recrutement, même si ce n’est que partiellement et avec plus ou moins de bonheur au fil du temps. L’encadrement adéquat, la formation et l’expérience en situation au cours de la carrière en expatriation consolident quelque peu l’aptitude des chercheurs concernés à la RpD, mais pour autant ne pallient pas toujours l’absence initiale de motivation. Ainsi, les effectifs actuels de ces établissements se divisent entre les deux catégories précédemment décrites. D’ailleurs, c’est probablement une des raisons pour lesquelles les moyens que la France consacre à la RpD n’aient jamais vraiment produit des résultats à la hauteur des attentes. En tout état de cause, l’expérience acquise par le Cirad et l’IRD, le tissu de relations qu’ils ont créé dans les PED autour des questions de développement, leur capacité à travailler en partenariat, leurs implantations et leurs représentations dans ces pays forment l’héritage qui procure un net avantage comparatif au dispositif français de recherche, qu’il convient absolument d’exploiter et de faire vivre. De plus il y a là un potentiel d’acquis et une mémoire sur les questions de développement à maintenir et à mieux exploiter. C’est dans cette perspective qu’il faut conserver ces opérateurs particuliers de recherche, avec ceux de leurs agents qui correspondent le mieux au profil exigé par la RpD. Ce serait le moyen de disposer d’un volant de chercheurs aptes à interagir à tous les niveaux avec les communautés du Sud, susceptibles de contribuer à la définition de futurs programmes de RpD, capables de participer aux projets de recherche correspondants et ayant à cœur d’aider à appliquer les résultats de ces recherches pour le bien-être des populations concernées.

(AAIRD, version 1.2, 02/07/2008)